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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

druples et même quintuples[1]. Ils ont été le sujet de vraies discussions entre les érudits… Fauriel, qui connaissait imparfaitement notre Épopée du Nord, a tranché la question d’un coup de plume. Il s’agit tout simplement, suivant lui, « d’un copiste inintelligent qui avait sous les yeux plusieurs leçons diverses d’un même passage et qui, au lieu de choisir la meilleure, les transcrivait à la suite l’une de l’autre[2]. » M. Gaston Paris ne va pas si loin et n’incrimine pas l’intelligence des scribes. Il admet cependant plusieurs « versions différentes » que le rédacteur aurait eues également présentes à l’esprit, et qu’il aurait toutes copiées sur un même feuillet de son manuscrit. Il cite, à l’appui de son opinion, ce texte si précieux de l’oraison funèbre de Roland par Charlemagne. Dans une première laisse, l’Empereur s’écrie : « Quand je serai à Laon, » et dans la seconde : « Quand je serai à Aix. » Le premier de ces couplets serait d’origine capétienne, et le second, plus antique, remonterait à la tradition caroline[3]. Dans l’école de MM. G. Paris et Fauriel, il faut encore placer M. Camille Pelletan : « Les couplets similaires ne sont, dit-il, que des rédactions différentes. Ils ont deux sources : les uns proviennent des diverses manières dont on peut modifier l’assonance d’une laisse ; les autres expriment d’autres traditions[4] ». Tout autre est l’opinion de M. Génin, qui, saisi pour notre vieux poëme d’un enthousiasme que nous ne trouvons pas excessif, s’écrie non sans quelque emportement : « Ces couplets sont l’œuvre d’un artiste, d’un poëte. Quel est « le copiste inintelligent » qui produirait « par hasard » des beautés d’un ordre aussi élevé[5] ? » M. Paulin Paris accorde que les jon-

    lxxxiv, lxxxv. — Le Cor sonné par Roland, cxxx, cxxxi, — Charlemagne entend le cor de son neveu, cxxxiv, cxxxv, cxxxvi. — Durendal, clxxii, clxxiii, clxxiv. — Oraison funèbre de Roland, ccviii, ccix, ccx, ccxi, ccxii. — Les Barons intercèdent pour Ganelon, cclxxxi, cclxxxii.

  1. V. en détail la Note précédente.
  2. Histoire littéraire, XXII, p. 184 et ss.
  3. Histoire poétique de Charlemagne, p. 22.
  4. De la composition des Chansons de geste (dans les Positions des Thèses de l’École des Chartes, année 1869).
  5. Introduction, p. lxxxviii et suiv.