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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

elles se complètent ; donc, ce ne sont pas là de ces variantes entre lesquelles on pouvait faire un choix ad libitum[1].

Nous insisterons sur les célèbres adieux de Roland à Durendal. Ces trois strophes, que l’on cite volontiers comme le type le plus parfait de nos « répétitions épiques », sont, à nos yeux, l’œuvre d’un grand artiste, d’un grand poëte. Elles se ressemblent sans doute ; mais chacune à sa personnalité indépendante. Dans la première, Roland rappelle, sans rien préciser, le souvenir de toutes ses victoires ; dans la seconde, il énumère ses conquêtes par leurs noms et reporte sa pensée au jour où il reçut sa bonne épée des mains de Charlemagne ; dans la troisième enfin, il songe à toutes les reliques qui sont dans le pommeau de Durendal. Si vous supprimez l’une ou l’autre de ces strophes puissantes et pleines de choses, vous laissez dans le poëme une véritable lacune ; vous défigurez, vous tronquez la Chanson. On pourrait dire avec quelque justesse que la première de ces strophes est narrative, la seconde « topographique », la troisième religieuse. Donc, ce ne sont pas des strophes à double ou triple emploi. Des variantes n’ont jamais eu ce caractère d’être essentielles, et de l’être à ce point.

Quant aux rédactions différentes et se rapportant à des époques plus ou moins reculées, nous n’y croyons point. L’exemple qu’a choisi M. G. Paris est certes le plus spécieux, et cependant nous le récusons… Charlemagne est donc là, pantelant, devant le corps inanimé de son neveu qu’il vient enfin de retrouver sur le champ de bataille de Roncevaux : « Ami Roland, je m’en irai en France, et, quand je serai en mon domaine de Laon, les étrangers viendront me demander de tes nouvelles. » Puis, cinq vers plus loin : « Ami Roland, belle jeunesse, quand je serai dans ma chapelle d’Aix, on viendra

  1. Il en est de même des couplets cxxx et cxxxi. Dans le premier, Olivier s’adresse uniquement à Roland, et lui reproche en raillant de n’avoir point sonné son cor. Rien de tout cela dans la seconde laisse, où en revanche il est question de l’armée de Charlemagne et de la belle Aude. — Si l’on étudie les couplets cxxxiv, cxxxv et cxxxvi, on y trouvera matière à des observations analogues. De même, pour les laisses cclxxxi et cclxxxii.