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HISTOIRE D’UN POËME NATIONAL

comme le croyait aussi l’excellent M. de Martonne, qui, dans sa Piété au moyen âge, avait cru trouver par là quelques restes du culte de Bacchus au sein de nos églises catholiques. Donc, aoi et euouae ne sont pas un seul et même mot, comme l’affirma d’abord M. Michel, qui, dans sa seconde édition, est d’ailleurs revenu à résipiscence. Faut-il voir dans aoi « le mot saxon abeg, ou l’anglais away, exclamation du jongleur pour avertir le ménétrier que la tirade finit et qu’il ait à s’arrêter ? » Cette seconde hypothèse de M. Michel[1] n’est guère plus heureuse que la première. Le moyen de supposer qu’un mot d’origine brutalement étrangère ait ainsi pénétré dans un poëme où tout est français ! M. Génin, lui, opine pour avoi, qui, suivant lui, viendrait de ad viam, et signifierait : « En route, allons[2] ! » Mais M. Génin oublie que, dans le dialecte de notre poëme, ad viam donnerait à veie. M. Lehugeur[3] avance que c’était un « hourra jeté par le ménestrel ». Il faut encore remarquer que ce hourra ne serait point conforme à la phonétique de notre manuscrit. M. Alexandre de Saint-Albin traduit aoi par : « Dieu nous aide ! » et y voit « le verbe ajuder, qui est une contraction d’adjuvare[4] ». Mais on ne trouve dans la Chanson que les formes aït et aiut, venant d’adjuvet. Une nouvelle, une troisième opinion de M. F. Michel vaut mieux que les deux premières : « Aoi serait un neume ». Mais il y aurait, ce semble, un bien rude écart pour la voix entre la note désignée par a et celle indiquée par o. Nous avons cru nous-même un instant que cet aoi était l’équivalent de , qui sert de refrain à plus d’une chanson lyrique[5]. Mais cette notation oi nous arrête tout

  1. M. F. Michel cite les vers : « Avoi, dist saint Pieres, avoi ». (De saint Pierre et du Jongleur, Fables et contes, édit. de 1810, p. 292 du t. III.) « Avoi, Sire, che dist Girars ! » (Roman de la Violette, vers 289.) Cf. la note du v. 14,914 des Canterbury’s tales of Chaucer, éd. d’Oxford, t. II, p. 499.)
  2. Chanson de Roland, p. 340.
  3. Dans les quelques notes rejetées à la fin de sa traduction.
  4. Chanson de Roland, p. 1 et passim.
  5. Tel est aussi le sentiment de M. G. Paris : « C’est un véritable refrain, dit-il, et un très-ancien fragment nous offre le retour, en manière de refrain, de quatre vers entiers. » (Histoire poétique de Charlemagne, p. 22.)