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NOTES ET VARIANTES

qu’il avait les fers aux pieds ; et il vit trente hommes voyageant vers leur ville qui s’appelait Ardena, et qui causaient entre eux, et disaient ainsi : « Le roi Karlamagnus a été vaincu, et il ne portera plus désormais la couronne au pays des Franks ! »

Chap. xxxix. — Or, après que le Roi se fut réveillé, lorsqu’il pensa à ses rêves, il lui sembla que toutes ces horribles choses étaient vraies. [Les Francs] alors harnachèrent leurs chevaux, et, quand ils furent harnachés, chevauchèrent vers Runzival. Et quand ils y furent arrivés, ils reconnurent les élus (les morts sur le champ de bataille), et trouvèrent Rollant gisant entre quatre belles pierres. Son épée gisait sous sa tête ; il tenait sa main droite autour de la poignée, et, dans sa main gauche, il avait son cor Olivant. Lorsque le roi Karlamagnus vit tout cela, il descendit de cheval, alla vers le fils de sa sœur avec grande tristesse, le baisa, lui mort, tomba à terre, et dit ensuite : « Béni sois-tu, Rollant, mort comme vivant (lifandi ok kvikr, vivens et vivus), par-dessus tous les autres chevaliers de la terre ; ton pareil ne pourra jamais être trouvé dans le monde terrestre, parce que tu es à la fois aimé de Dieu et des hommes. » Alors le Roi tomba évanoui, et ses hommes crurent qu’il était mort, bien qu’il fût vivant. Mais le duc Nemes se tenait auprès et voyait ; il s’élança vers une eau courante en toute diligence, prit de cette eau et en jeta sur la face du Roi, et lui dit ensuite : « Levez-vous, Sire roi, personne ne doit aimer son prochain mort au point de s’oublier, lui, vivant. » Lorsqu’il eut entendu ces paroles de Nemes, le Roi s’y rendit : il se redressa sur ses pieds, et dit au plus fort de ses chevaliers qu’il allât prendre l’épée de Rollant et la lui apportât. Le chevalier alla, mais ne put l’avoir. Alors le Roi envoya un second chevalier, et elle ne fut pas plus facile à détacher. Puis il envoya cinq chevaliers, pour que chacun d’eux pût tenir un des doigts de Rollant, et l’épée ne fut pas plus facile à détacher. Alors le roi Karlamagnus parla : « Aucun homme n’eût pu obtenir de prendre l’épée de Rollant tandis qu’il vivait ; à l’heure présente, vous ne trouverez pas grâce devant lui mort. » Et, après cela, il tomba pâmé. Le duc Nemes le pria d’avoir du courage, et parla ainsi : « L’homme doit toujours survivre à l’homme, et prendre souci surtout de soi-même, parce que Dieu a ordonné qu’il en fût ainsi. » Le roi Karlamagnus écouta ce conseil et rejeta loin de soi son chagrin ; et il demanda comment ils pourraient obtenir l’épée de Rollant. « Voici qu’il me vient un avis : c’est de prier le Dieu tout-puissant qu’il nous veuille assister pour cette fois ; mais je crois savoir d’avance que personne ne sera digne de détacher l’épée de Rollant, à moins que ce ne soit un aussi bon guerrier qui la touche au pommeau. » Alors le roi Karlamagnus se mit à prier