neur. Et ils avaient, cheminant avec eux, ces douze corps ; et ils voyagèrent jusqu’à ce qu’ils fussent arrivés à leur ville qui se nomme Arlis (Arles), et qui est la capitale du pays qu’on appelle Provincia. Il y avait là des clercs nombreux, bons et célèbres, qui vinrent au-devant d’eux avec grande pompe et vénération. Alors on chanta des messes pour les âmes dans tous les moutiers de la ville. Le roi Karlamagnus fit des offrandes, aux messes qui furent chantées, avec grande magnificence et générosité : on dit qu’il y offrit douze mille marcs pesants d’argent avant que les corps fussent recouverts de terre, et qu’il donna (litt. fit retourner ?) de grandes propriétés pour l’emplacement où reposent les douze Pairs. Et il établit de grosses rentes ou prébendes qui, depuis lors, ont toujours été continuées. Après cela le roi Karlamagnus s’en retourna dans sa ville de Paris avec tous ses gens, et il eut beaucoup de chagrin dans son cœur, quoiqu’il lui eût été donné de faire la découverte de ces corps.
Chap. xli. — Lorsque le roi Karlamagnus eut habité chez lui quelque temps et qu’il se fut reposé de ces voyages, il fit dresser le pieu (symbole des convocations générales, surtout des levées d’armes) dans toutes ses terres et provinces, et fit convoquer tous les commandants en chef (höfding) de ses États, et tout homme valide et capable de porter les armes, afin qu’ils eussent à venir vers lui pour délibérer sur ce qu’on devait faire du comte Guinelun, lequel avait trahi Rollant et les vingt mille hommes morts avec lui à Runzival. Et quand tout ce monde fut réuni dans un même lieu, l’affaire fut exposée et racontée par des hommes sages, et ensuite portée devant l’Assemblée générale. Alors tous ces hommes se déclarèrent incompétents pour juger une pareille cause, et on ne put arriver à aucune conclusion pour cette fois. Mais il arriva, comme toujours, que le duc Nemes en vint à se lever en face de cette multitude, et leur fit une longue harangue tout particulièrement habile. Il termina ainsi son discours : « Mon avis est que le comte Guinelun doit mourir de la mort la plus épouvantable et la pire qu’on pourra jamais trouver. » Cet avis parut juste au roi Karlamagnus et à toute l’Assemblée. Alors le comte Guinelun fut retiré du cachot où il avait été jusque-là gardé dans les fers, depuis que Rollant et ses compagnons étaient partis pour Runzival. Puis le traître fut attaché entre deux chevaux sauvages qui l’entraînèrent tout autour du pays des Franks, jusqu’à ce que sa vie finît ainsi, jusqu’à ce qu’un seul de ses os ne restât plus attaché à l’autre dans tout son corps, et ils étaient eux-mêmes en morceaux (?). Après cela le roi Karlamagnus fit rendre libres ses États ; il les fit fortifier, et plaça dans ses provinces des hommes pour les bien administrer et gouverner, et aussi pour repousser au loin ses ennemis et