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Page:Gautier - La Chanson de Roland - 2.djvu/271

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NOTES ET VARIANTES

demandé à Dieu que personne ne pût la lui prendre de la main, personne qui fût de moindre valeur qu’il n’était. Je vais voir si je puis lui tirer son épée de la main. » Alors il saisit l’épée, et tous les doigts se détachèrent à l’instant de la poignée. Il prit l’épée, en détacha le pommeau et la boule, qu’il conserva comme relique (?). Quant à la lame, il la noya dans un lac.

Ensuite il fit porter les cadavres chrétiens, mis à part de ceux des païens, et vit alors où l’Archevêque gisait sans voix. L’Empereur fit bander sa blessure et lui fit avoir un bon lit. Turpin resta encore couché ; il marcha ensuite avec deux béquilles tant qu’il vécut, et ne fut plus jamais capable de porter la cuirasse ; mais il demeura depuis dans son archevêché, jusqu’à la fin de sa vie. Ensuite l’Empereur veilla toute la nuit et pria Dieu qu’il voulût bien lui permettre de reconnaître les chrétiens d’entre les païens qui avaient été tués. Et, au matin, il y avait une bourrée d’épines à la tête de chaque païen, tandis que les chrétiens étaient restés tels qu’ils avaient été tués. Alors il les fit enterrer. Mais, pour Roland et les douze Pairs, il les fit conduire à la ville d’Arles, où ils sont enterrés ; et l’Empereur y fit chanter nombreuses messes, et offrit douze cents marcs d’argent et le cor de Roland plein d’or. Ensuite l’Empereur retourna à Paris et fut affligé tant qu’il vécut. Puis il fit sortir le comte Gevelon pour le mettre en justice, et le jugement fut ainsi rendu « qu’il devait être traîné par toute la France », ce qui fut fait ainsi, en sorte que pas un os ne resta à côté de l’autre dans tout son corps.

Un jour que l’Empereur était assis tranquillement en France, entra à pied la sœur d’Oliver, qui était la fiancée de Roland. Elle s’adressa à l’Empereur, et lui dit : « Où est Oliver mon frère, et Roland, mon fiancé ? » L’Empereur se tut longtemps, mais il dit enfin : « Ma chère damoiselle, Roland et Oliver ont été tués dans la lande de Runtseval. » La jeune fille roula aux pieds de l’Empereur, et, par sa grande douleur, son cœur se brisa en pièces. L’Empereur s’évanouit de la grande compassion qu’il eut pour elle, et tomba sur le cadavre. Lorsqu’il revint à lui, il fit enterrer son corps avec de grands honneurs.

La nuit suivante, l’ange Gabriel vint à l’Empereur et dit : « Va-t’en au pays de Libia et aide le bon roi Iven ; car les païens combattent rudement contre son pays. » Dans la semaine de Pâques, l’Empereur rassembla une grande armée à Rome et s’en alla vers le roi Iven. Le roi païen, qui combattait contre lui, s’appelait Gealver. Quand il apprit l’arrivée de l’Empereur, il marcha contre lui et combattit, et beaucoup d’hommes tombèrent des deux côtés. Olger le Danois frappa sur le casque du roi païen et le pourfendit jusqu’à la selle. Et l’Empereur gagna une grande victoire en ce jour, et délivra le pays du roi Iven.