Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/115

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contractés ; la jalousie manquait aux tourments que j’endure. Que pourrais-je contre cet homme, que je hais déjà autant que je l’admire ? Par quel moyen l’insulter, le provoquer, essayer de le tuer ? Bah ! il rirait de moi et me ferait assassiner traîtreusement par ses esclaves ; il faut m’avouer vaincu et renoncer définitivement à toute lutte, effacer jusqu’au souvenir de cette démence, qui finirait par me rendre complètement imbécile.

Salabet Cingh causait avec Mme Dupleix et paraissait auprès d’elle très empressé et très tendre ; il semblait la supplier, solliciter quelque chose qu’elle refusait avec un sourire doux et affectueux.

— Eh bien, vais-je rester là, fasciné comme un oiseau par un serpent ? se dit tout à coup le marquis. Et, avec un mouvement de colère, il tourna brusquement le dos et s’éloigna.

En traversant une galerie, il revit ce guerrier qui l’avait regardé d’une façon singulière. Il était appuyé du dos contre un portique, les bras croisés, l’air froid et méprisant, mais continuant à dévisager tous ceux qui passaient devant lui.

— J’ai envie de lui chercher querelle, à celui-là, se dit le marquis, et de passer sur lui ma mauvaise humeur !

Il s’avança, avec un sourire moqueur et impertinent, tandis que, sans le voir, l’inconnu murmurait d’un air irrité :

— Ils ont tous, dans cette race bâtarde, les cheveux blancs et le visage imberbe, et les prunelles bleues ne sont pas rares.