Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/201

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eau que tu as donnée, dans le paradis, à ton prophète ; elle est plus parfumée que le musc, plus blanche que le lait, plus douce que le miel, et elle a le pouvoir d’apaiser pour toujours la soif de celui qui la boit.

Alors, il aspira de l’eau par le nez, se lava trois fois le visage et le revers des oreilles, et, puisant à pleines mains, s’inonda l’épaule droite, puis la gauche, et le sommet de la tête, lava l’ouverture de ses oreilles, son cou, sa poitrine, son ventre, son pouce, tous ses doigts et enfin ses pieds, en disant la dernière prière :

— Soutiens-moi fermement, ô Seigneur ! et ne souffre pas que mon pied glisse, de peur que je ne trébuche sur le pont tranchant du sirat, qui passe sur la géhenne.

Cela faisait un bourdonnement vibrant, toutes ces voix mâles récitant la prière. Chacun la disait pour soi-même : les uns en étaient aux oreilles quand leurs voisins en étaient aux pieds et que d’autres ne faisaient que commencer. Il y avait des bras levés, des regards au ciel. Ceux qui toussaient ou éternuaient recommençaient.

— Est-ce ridicule, ces momeries ! dit Kerjean, qui avait rejoint le marquis.

— Je ne trouve pas, mon cher, répondit Bussy, cela a de la grandeur ce salut au soleil levant, et je ne puis me défendre de respect et de sympathie pour une religion où la propreté est une prière.

Avant midi, le camp de Mouzaffer-Cingh était en vue. Il s’étendait dans une plaine verdoyante, aux