Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/250

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d’ailleurs, à ses yeux, nous avons reconnu son origine.

« — C’est vrai, dit l’homme qui mourait debout, il ne baissait pas les paupières.

« C’est une de nos superstitions, le sais-tu ? que les dieux, déguisés en mortels, sont reconnaissables à leurs yeux, qui ne clignent jamais. Tu dardes en effet un regard presque immobile qui, dans la frénésie de ce combat vraiment surhumain, a dû devenir plus fixe encore.

« — Mais où est-il ? dit la reine.

« Le blessé fit encore un effort pour parler :

« — Quand il nous a eu tous vaincus, avec un bruit terrible, son char céleste est venu, et il est parti.

« — Ils me rendent folle ! disait la reine cherchant à comprendre.

« — Cela signifie que ses amis sont venus à son secours et l’ont emmené.

« — Ils ont emporté son cadavre ?

« — Son cadavre ? ai-je dit cela ? non pas, il vit, une fois encore vainqueur, et hors de ton atteinte. Vois, ta cruauté inutile coule ici en flots de sang, nos sandales en sont tout imbibées, et l’on pourra nous suivre à la trace rouge de nos pas.

« Tu le vois, je ne pouvais contenir les sentiments de douleur et d’indignation qui m’oppressaient, je les laissais déborder en paroles amères, oubliant même le respect que je devais à ma reine, décidée à la quitter. Je m’attendais à un accès de colère, mais elle restait muette, terrifiée par le tableau qui était devant ses yeux. Tout à coup elle s’enfuit, appelant les