Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/328

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venir le coup, et cherchant à dégager sa main qui, se glaçant, trahissait son émotion.

— Il faut que tu ailles saluer pour moi la future reine du Dekan, en lui rappelant les promesses de notre enfance, que nous n’avons que trop tardé à tenir.

Involontairement Bussy serra d’une étreinte si rude les doigts qui tenaient les siens que le roi étouffa un cri, et de sa main libre atteignit, sur le divan, la poignée de son sabre. Mais il se remit et feignit de ne s’être aperçu de rien.

— Tu verras avant moi la Padischah-Bégum, dit-il ; on la proclame la fleur la plus merveilleuse qui ait jamais fleuri sous le ciel de l’Hindoustan.

— Tu ne l’as jamais vue ? demanda vivement Bussy.

— Une seule fois, le jour de nos fiançailles ; elle avait cinq ans, j’en avais sept, et c’était la première fois que je montais sur un éléphant ; la joie, mêlée de terreur, que me causait cet événement, occupait seule mon jeune esprit, et je n’ai retenu que cela. On dit cette reine fière et d’un caractère indépendant. Je serai forcé, sans doute, de lui sacrifier l’Étoile Heureuse, ma favorite persane, que j’aime à la folie ; mais je suis prêt à tout pour plaire à ma royale fiancée.

— Je jure bien, se disait le marquis à lui-même, que si Ourvaci m’aime assez pour dédaigner le trône du Dekan, tu ne la verras jamais, dussé-je écraser ton front sous cette couronne dont je l’ai orné !

Les prunelles noires de Salabet, glissant sous les cils jusqu’au coin de l’œil, examinaient Bussy à la dérobée.