Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/366

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cacher le secret de leurs cœurs. Mais si, pour lui obéir, il s’efforçait de considérer les rives charmantes, qui fuyaient à droite et à gauche, c’étaient les yeux de la reine qui avidement cherchaient les siens.

Lila, inquiète et effrayée de les voir ainsi oublieux du monde, se pencha vers le marquis, en ayant l’air de se mirer dans l’eau, et lui dit rapidement :

— Prends garde ! veux-tu donc tout perdre par cette folle conduite ? Bien des dangers et bien des obstacles vous séparent encore.

Et elle se mit à l’interroger sur l’Europe, sur la France, sur mille choses, le forçant à lui répondre, le harcelant sans répit.

On glissa quelque temps encore sur l’eau bleue, sans une ride, puis les rameurs levèrent leurs rames ruisselantes, tous ensemble, et le bateau se rangea près d’un rocher couvert de mousse, sur lequel on débarqua.

— Rama s’est laissé emmener sans même s’informer où on le conduisait ? dit la reine.

— Étant près de toi, j’étais arrivé avant de partir, puisque tu es le but de tous mes rêves.

Une antilope bleue, dont les cornes droites luisaient, accourut à eux en faisant tinter la clochette d’argent qu’elle avait au cou.

On fit le tour d’un grand rocher, tout hérissé de plantes grasses qui semblaient des monstres fantastiques, et l’on pénétra dans une grotte.

Devant l’ouverture, du côté du paysage, une cascade passait, si unie et si transparente, qu’elle semblait souvent immobile ; des gazons épais, disposés