Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/46

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parias ; ils sont censés diriger et instruire les misérables qui ne méritent pas le nom d’hommes. Mais, le plus souvent, ils ne font qu’accroître leur misère, ils les pressurent, leur prenant le peu qu’ils ont, pour vivre à leurs dépens dans l’ivrognerie et l’oisiveté ; quelques-uns sont bons pourtant et ont une ombre de savoir. D’un de ceux-là j’ai appris le peu que je sais. En mourant il m’a désigné pour le remplacer, et m’a légué le seul bien qu’il possédait, un livre, qui est toute ma fortune.

— Celui que je t’ai vu lire ? dit Bussy.

— Oui, maître. Ce livre, c’est mon père et ma mère, c’est mon amante, c’est ma patrie, et c’est lui aussi qui m’a appris à souffrir.

— Qu’est-ce donc que ce livre ?

— C’est l’œuvre d’un paria ; mais celui-là, par la seule force de son intelligence, s’est élevé à une telle hauteur, que ceux-là mêmes qui nous méprisent si cruellement l’ont surnommé : « le divin paria ». Mais je crains de te lasser, maître, ajouta Naïk.

— Non, non, tu parles fort bien, et j’aime à m’instruire. Qui était ce paria ?

— Un valouver. Il s’était retiré avec sa sœur près de la ville de Madura, au fond d’un bois ; ils vivaient de fruits sauvages et de racines. Il se livrait à l’étude avec une ardeur que rien ne distrayait. En ce temps, le collège de Madura était célèbre dans tout l’Hindoustan ; c’était un sanctuaire redoutable qui n’accueillait dans son sein que l’élite des étudiants. Nulle caste n’en était exclue en principe, cependant aucun paria n’avait jamais eu la folle ambition de franchir