Page:Gautier - La Conquête du paradis.djvu/72

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chant a trouvé le chemin de ton oreille : c’était mon espoir, et tu m’as appelé.

— Mais tu frissonnes, mon pauvre Naïk, dit Bussy, en jetant au paria une couverture de laine douce. Il paraît que l’air du panka, qui me semble pourtant une haleine de l’enfer, est relativement frais et va te geler jusqu’aux moelles. Que t’est-il donc arrivé ? Tu me parais plus maigre et plus hâve que jamais.

— Je suis heureux, dit Naïk.

— Tant mieux ! Je voudrais en pouvoir dire autant. Mais puisque ton projet est de t’attacher à mes pas, je te préviens que je ne veux pas de meurt-de-faim à mon service et que j’entends que tu engraisses.

— J’engraisserai.

— En attendant, tu me sembles à jeun depuis des semaines, fais-moi le plaisir de manger ce qui reste de pâtisseries sur ce guéridon.

— J’obéis, maître, dit Naïk, mais il y a des racines dans les champs, je n’étais pas à jeun.

Bussy s’était recouché sur le fauteuil de jonc et regardait avec douceur le paria mangeant lentement ces gâteaux qui lui révélaient des sensations inconnues. Le marquis essayait de se persuader que la sympathie compatissante que lui inspirait Naïk était toute naturelle et désintéressée, et il y avait vraiment dans son cœur, jeune et enthousiaste, beaucoup de pitié pour ce déshérité qui se donnait à lui avec une joie si ardente ; mais la source de plaisir que sa subite présence lui faisait éprouver était ailleurs, Bussy ne voulait pas en convenir avec lui-même et il était irrité d’en être cependant certain. Naïk était le