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la peau de tigre

Cybèle tombe boucle à boucle, et bientôt apparaîtra tout nu le crâne chauve de la terre ! Tâchons, au moins, de sauver la forêt de Fontainebleau !

La femme légale de Denecourt, qui ne sait pas être l’épouse de Sylvain, que quelques mythologues confondent avec le grand Pan, dont une voix lamentable proclama la mort il y a tantôt vingt siècles, ne comprit pas l’amour de son mari pour la forêt, et sa jalousie s’alarma de si longues absences ; elle crut à des rendez-vous vulgaires, à des voluptés illégitimes sous la tente verte des feuilles. Le dieu Sylvain fut suivi, épié, et l’épouse se rassura en ne voyant jamais un chapeau de paille orné d’une fleur l’accompagner dans ses promenades solitaires, ni une jupe adultère s’étaler à côté de lui sur le gazon, pendant ses haltes méditatives. Quelquefois, Sylvain tenait embrassé le fût rugueux d’un chêne ; mais qui songerait à être jalouse d’un arbre ? Elle ne savait pas, la bonne dame, que sous la rude écorce palpite, aux approches du dieu, le tendre sein de la jeune et belle hamadryade qui n’a rien à refuser au maître de la forêt, et pour lui dépouille son épaisse tunique ligneuse frangée de mousse d’or. Et alors s’accomplissait le mystérieux hymen ; le soleil brillait plus vif, la végétation redoublait d’acti-