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Page:Gautier - La Peau de tigre 1866.djvu/233

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Dès la troisième, ayant reconnu la vanité des études classiques, je m’adonnai au bel art de la natation, et j’acquis, après deux saisons de chair de poule et de coups de soleil, le grade éminent de caleçon rouge. Je piquais une tête sans faire jaillir une goutte d’eau ; je tirais la coupe marinière et la coupe sèche d’une façon très-brillante ; les maîtres de nage me faisaient l’honneur de m’admettre à leur payer des petits verres et des cigares ; je commençai même un poème didactique en quatre chants, en vers latins, intitulé : Ars natandi. Malheureusement, la nage est un art d’été ; et, l’hiver, pour me distraire des thèmes et des versions, j’illustrais de dessins h la plume les marges de mes cahiers et de mes livres ; je ne puis évaluer à moins de six cent mille le nombre de vers à copier que cette passion m’attira ; j’avais du premier coup atteint les hauteurs de l’art primitif ; j’étais byzantin, gothique, et même, j’en ai peur, un peu chinois : je mettais des yeux de face dans des têtes de profil ; je méprisais la perspective et je faisais des poules aussi grosses que des chevaux ; si mes compositions eussent été sculptées dans la pierre au lieu d’être griffonnées sur des chiffons de papier, nul doute que quelque savant ne leur eût trouvé les sens symboliques les plus curieux