Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/292

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criminelle, je voulais dompter mon cœur, faire taire ma pensée, à quoi bon ? La fleur peut-elle se défendre de naître et de s’épanouir, l’astre peut-il refuser de resplendir, la nuit peut-elle se révolter lorsque le jour l’envahit comme tu as envahi mon âme ?

— Ai-je bien entendu ! c’est à moi qu’une telle bouche adresse de telles paroles, s’écria le prince, tu m’aimes ! toi, la Fille des dieux ! Laisse-moi t’emporter alors ; fuyons hors du royaume, dans une contrée lointaine, qui sera le paradis. Tu es à moi, puisque tu m’aimes. J’ai été si malheureux ! Maintenant le bonheur m’écrase. Viens, hâtons-nous ; la vie est courte pour enfermer un tel amour.

— Prince, dit la reine, l’aveu que je viens de te faire, étant ce que je suis, doit te montrer à quel point mon amour est dégagé des préoccupations terrestres. Je ne m’appartiens pas en ce monde, je suis épouse, je suis souveraine, aucune action coupable ne —sera commise par moi. Mon âme, sans ma volonté, s’est donnée à toi ; pouvais-je te le cacher ? Mais si j’ai parlé aujourd’hui, c’est que nous ne devons plus nous revoir dans ce monde.

— Ne plus te voir ! s’écria le prince avec épouvante. Pourquoi dis-tu une chose aussi cruelle ? Pourquoi après avoir un instant entr’ouvert le ciel devant mes yeux, me précipites-tu soudainement dans les tortures de l’enfer ? Être privé de ta présence me tuera aussi sûrement qu’être privé d’air et de lumière.

Nagato se couvrit le visage pour cacher les larmes qu’il ne pouvait retenir ; mais la reine lui écarta doucement les mains.

— Ne pleure pas, dit-elle. Qu’est donc la vie ? Peu de chose à côté de l’éternité. Nous nous retrouverons, j’en suis sûre.