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Page:Gautier - La sœur du soleil.djvu/320

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tordait dans une agonie affreuse ; et courut vers elle, il vit ce sang qui ruisselait.

— Qu’as-tu donc ? s’écria-t-il.

— Je meurs, dit Fatkoura.

Elle glissa à terre, le prince s’agenouilla près d’elle et la soutint sur ses genoux.

— Y a-t-il quelqu’un ici ? cria-t-il, qu’on amène des médecins.

— Je t’en supplie, dit Fatkoura, n’appelle pas, nul ne pourrait rien à ma blessure. C’était pour épargner un outrage à ton nom : j’ai frappé fort, je ne puis être sauvée. Ne fais venir personne, laisse-moi mourir près de toi, puisque je n’ai pu y vivre.

— Infortunée, voilà donc où je t’ai conduite ! s’écria le prince, c’est pour moi que tu meurs après une vie de souffrance ; toi, si belle, si jeune, et qui étais faite pour le bonheur. Ah ! pourquoi me suis-je trouvé sur ton chemin ?

— J’ai été heureuse quelque temps, dit Fatkoura, bien heureuse, tu semblais m’aimer, mais j’ai payée cher ces jours de joie. Que t’avais-je fait, cruel, pour que tu me délaissas ainsi ?

— Tu l’avais deviné, douce princesse ; un amour tout-puissant, invincible, me détournait de toi, ma volonté n’obéissait plus à ma raison.

— Oui ! que peut-on contre l’amour ? Je sais à quel point il vous dompte, moi qui en vain ai essayé de te haïr. Oui ! tu les as éprouvées ces tortures aiguës, ces attentes sans but, ces rêves fiévreux, ces espoirs qui ne veulent pas mourir ; tu les as connus ces sanglots qui ne soulagent pas, ces larmes qui brûlent comme une pluie de feu. En proie à un amour impossible, tu as souffert autant que moi. N’est-ce pas que c’est affreux et que tu as pour moi quelque compassion ?