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le collier des jours

bâillement, je pouvais très bien voir, et entendre sans perdre un mot.

Flaubert, debout devant la cheminée, ployant un peu sa haute taille, lisait à pleine voix, en faisant de larges gestes.

C’était l’épisode de la Reine de Saba, la description de sa parure superbe, de sa robe de brocard d’or à falbalas de perles, dont la longue queue était portée par douze négrillons, et l’extrémité tenue par un singe, qui la soulevait, de temps à autre, pour regarder dessous. J’eus l’idée que c’était à cause de cette malice du singe que l’on n’avait pas voulu me laisser entendre.

Quand Flaubert eut fini de lire, au moment où j’allais me sauver, on lui demanda de contrefaire l’ivrogne. Il se défendit longtemps, puis finit par céder à l’insistance de tous.

J’assistai, alors, à une scène extraordinaire, d’un réalisme qui me parut si effrayant, que je ne pus le voir jusqu’au bout et que je regagnai mon lit, plus vite que je ne l’avais quitté, pour m’y blottir, en me cachant la tête sous les couvertures.