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LE DRAGON IMPÉRIAL

souffle de l’hiver qui faisait frissonner Ko-Li-Tsin, et, par instants, il essuyait du revers de sa manche son visage en sueur ; car bien des fois déjà sa bêche s’était enfoncée sous la pression de son pied pour ressortir brillante de la terre noire et humide.

Ce paysan, âgé de vingt ans à peine, était d’un aspect farouche : fort et hautain, il avait l’air d’un cèdre ; son front ressemblait à la lune sinistre d’un ciel d’orage ; ses longs sourcils obscurs s’abaissaient comme des nuages pleins de tempêtes ; de tyranniques puissances roulaient dans ses yeux sombres, et les lèvres, souvent ensanglantées par des dents furieuses, témoignaient des pensées féroces qui mordaient son cœur. Cependant il était beau comme un dieu, bien qu’il fût terrible comme un tigre brusquement apparu au détour d’un chemin.

Il avait pour tout costume une courte chemise en coton bleu sur un pantalon de même étoffe, un chapeau de paille claire, retroussé comme le toit d’un pavillon, et, à ses pieds nus, des souliers à larges semelles ; mais ces vêtements vulgaires, tout dorés par le soleil, étaient splendides, et paraient le jeune laboureur tout autant que l’aurait pu faire la robe de brocart jaune, traversée de dragons d’or, que porte dans la Ville Rouge l’éblouissant Fils du Ciel.

Depuis quelques instants il bêchait avec rage, fouillant, tranchant, déchirant le sol pierreux. Cette furie déplut au lettré Ko-Li-Tsin, qui attendait patiemment sous son arbre une pensée philosophique propre à être mise en vers de sept caractères.