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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

Et il redit le dernier verset de sa chanson : « Seul le pasteur de buffles est assez infime et ignoré pour n’éveiller aucune convoitise !… »

Mais voici qu’en sursaut, s’appuyant des mains aux branches, il se soulève, les yeux grands ouverts.

Un bruissement brutal du feuillage, tout proche, l’effare. Est-ce un buffle qui s’échappe ?… Quelque bête de proie qui en veut à son troupeau ?…

Un hennissement bref lui répond, et, aussitôt, froissé par les branches, un guerrier paraît, suivi d’un autre.

Les chevaux, mouillés de sueur, haletants, se précipitent dans le marais, hument l’eau avidement. Ils sont entrés jusqu’au poitrail, et des frissons courent sur leurs flancs.

Un des guerriers, sous les écailles du brassard, relève la manche de sa tunique de soie, découvrant une blessure qui saigne.

Malgré la lassitude qui les accable et la poussière qui ternit leurs armes, ces deux guerriers ont une grâce singulière, une imposante majesté. On dirait des adolescents, mais on ne peut savoir, le casque masquant à demi leur visage.

Le pasteur de buffles regarde, les yeux élargis, la lèvre agitée d’un tremblement. Sous la pluie de soleil qui tombe entre les feuilles, cet étincellement du harnais de guerre semble le fasciner, et surtout ce bras nu, si lisse, si pur, où le sang, enroulé en