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LE PARAVENT DE SOIE ET D’OR

— Pasteur de buffles !

Alors il se relève, dompte sa stupeur.

— Oui, dit-il, pasteur de buffles !… dans ce néant j’étais englouti, oublié, et, moi-même, peut-être, j’oubliais.

— Mieux valait la mort.

— J’allais vers elle ; mais sans hâte. Est-ce l’oubli, la mort ?… Qui peut répondre ? Je voulais rejeter de mon âme tous mes rêves, toutes mes souffrances : ne pas les emporter avec moi : pour mourir, j’attendais de ne plus être vivant !

— Qu’avais-tu donc rêvé ? Qu’as-tu donc souffert, pour être à ce point lâche devant le destin ?

— J’ai fui pour taire mes désirs et pour dérober mes larmes. Comment parlerais-je aujourd’hui que les larmes ont submergé les désirs ?

— Ne sais-tu pas qui t’interroge ? s’écria la plus jeune des femmes qui, dans un sursaut de colère, lança son cheval en avant.

— Ba-Tioune-Tiac, la Fleur-Royale, est devant moi, répondit Lée-Line ; et toi, Ba-Tioune-Nhi, la Tige-d’Or, tu es sa sœur.

Mais Tige-d’Or fronçait les sourcils.

— C’est tout ce que tu sais ? Tu es vraiment tombé si bas ?… Tu es à ce point aveuglé, que l’éclat d’une gloire sans pareille n’atteignit tes yeux d’aucune lueur ?

— Depuis plus de trois années : l’ombre, le silence, le désert !