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LE FRUIT DÉFENDU

signe à un batelier qui se hâta de rapprocher sa barque du rivage :

— Traverse le fleuve en le remontant un peu, dit le libraire, quand il se fut commodément installé sous le pavillon de natte.

Pour éviter la foule des navires marchands, la barque passa par la ville flottante des Bateaux-des-Fleurs, qui forment des rues, des places, des carrefours pleins de reflets toujours frissonnants. Sang-Yong soupira en regardant les treillis verts des maisons de bambous, les banderoles joyeuses, les lanternes pendantes, les ornements de papier doré et de plumes de paon, et surtout les petites terrasses où il avait fumé si souvent de longues pipes d’opium : « Qu’il serait doux de s’asseoir là, vêtu de jaune, au « milieu d’un cercle méprisable de marchands ! » se disait-il.

Après avoir dépassé les Bateaux-des-Fleurs, la barque toucha terre de l’autre côté de la rivière. Sang-Yong s’enfonça dans la campagne : il longea la longue pagode Haï-Tsioun-Tsée, les palissades de laque rouge des élégantes habitations d’été enfouies sous des touffes de fleurs, et atteignit enfin un petit bois de jeunes cèdres où il s’arrêta pour goûter la fraîcheur douce de l’air. Il était seul, invisible. Il songea que la lumière du jour ne l’avait jamais admiré vêtu de son costume superbe ; violemment, il rejeta sa robe noire et apparut magnifique. Le soleil dardait ses rayons à travers les branches, pour