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le second rang du collier

La première fois que je vis Meyerbeer, ce fut dans son escalier, qu’il descendait, tandis que nous le montions avec ma mère, qui nous présenta à lui. Nous étions encore très jeunes, ma sœur et moi, mais grandes pour notre âge, et il s’écria avec surprise :

— Pas plus petites que ça ?…

Meyerbeer aimait beaucoup le contralto vibrant et velouté de ma mère ; il composa pour elle, et lui dédia, une romance dramatique, mêlée de récitation, sur des paroles de Méry, la Fiancée du vieux Château, — le château de Bade, — et c’est à Bade que ma mère chanta la mélodie encore inédite.

La dernière fois que je vis le maître, il m’apparut dans une situation assez bizarre : debout, sur un banc de bois, au milieu du Champ-de-Mars, où avait lieu l’ascension du ballon de Nadar : le Géant.

Meyerbeer, qui était de petite taille, ne voyait rien, sans doute, perdu dans la foule, et s’était hissé sur ce banc, apporté là par un industriel de circonstance. Serré dans un petit paletot marron, le nez chargé de lorgnons superposés, tenant des deux mains son parapluie, il regardait en l’air l’énorme ballon, et paraissait complètement absorbé par le spectacle et enchanté. Il avait vraiment, dans cette posture, une silhouette inoubliable, et nous le contemplâmes longtemps, d’en bas, sans rien dire. Mais sa position n’était pas sans danger : toujours sans nous faire connaître, nous nous