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le second rang du collier

de jouer, en anglais, un acte de Macbeth, celui du meurtre de Duncan. Taillade ne savait pas l’anglais, ou à peine ; mais cela ne démontait nullement madame Key Blunt, qui se chargeait de seriner à l’artiste français la bonne prononciation.

Le Vaudeville prêta complaisamment sa salle, et, après d’innombrables et laborieuses répétitions, la représentation eut lieu. Mais il se trouva — ce que l’on soupçonnait déjà — que madame Key Blunt avait fort peu de talent et que Taillade en avait beaucoup, même en anglais. Il sut se faire comprendre du public parisien, fortement ahuri par ces mots inconnus, et il emporta tout le succès.

Mon père, dans son compte rendu, essaya d’en laisser une part à l’artiste américaine ; mais on le devine plus sincère quand il parle de Taillade :

Par un prodige de volonté, par une idolâtrie passionnée pour Shakespeare, il est arrivé à dire le texte, même avec un très bon accent, et à produire, dans cet idiome presque étranger pour lui, tous les effets qu’il obtenait à l’Odéon dans l’excellente traduction de Jules Lacroix. Chose étrange : loin d’être gêné en grandeur, en puissance, en énergie, son jeu avait quelque chose de direct, de natif, d’original. On ne sentait plus rien entre lui et le poète. Les idées jaillissaient avec leurs mots, leurs sons, leurs couleurs ; et d’une représentation qui pour la plupart des spectateurs n’était guère qu’une pantomime, le sens profond, caché, mystérieux de l’œuvre colossale se dégageait avec plus de clarté que dans tous les commentaires.

Taillade, en effet, était superbe. Il avait, entre