Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/168

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
160
le second rang du collier

pauvre diable. Il avait été amené en France par Mgr  Callery, évêque de Macao, qui l’avait engagé pour travailler à la rédaction d’un dictionnaire chinois-français ; mais Mgr  Callery était mort et l’on avait tout simplement renvoyé le Chinois.

Comme on l’avait tenu, jusque-là, à peu près enfermé chez cet évêque, il ne savait presque rien de la langue du pays où il se trouvait, et n’avait aucune relation ; le peu d’argent, épargné à grand’-peine, fut vite mangé. Lorsque Nono le rencontra, il se rendait chez Stanislas Julien, qui lui faisait faire quelques travaux, dont il ne se hâtait pas de lui verser le mince salaire.

Clermont-Ganneau s’était intéressé à ce Chinois. Il l’avait décidé à reprendre son costume national, à laisser repousser sa natte : l’homme était redevenu une très élégante potiche. Dans son dénûment, il avait rencontré une femme, de condition modeste, qui s’était apitoyée sur lui, l’avait pris en affection et était sur le point de l’épouser ; mais, tout dernièrement, elle venait de mourir. Et le pauvre exilé, qu’elle aidait un peu, était retombé dans la misère.

Voilà mon père, et nous tous, profondément attendris sur le sort de ce Chinois, seul et sans ressources, si loin de sa patrie chimérique.

— Je me vois à Pékin, sans un sol, dit mon père, ne sachant pas un mot de chinois et ayant pour toute recommandation un aspect insolite, qui