Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/208

La bibliothèque libre.
Cette page a été validée par deux contributeurs.
200
le second rang du collier

venant que rarement, il nous fallait une maîtresse en second, qui nous guiderait par des conseils plus fréquents. Ma mère la découvrit, sur la foi d’une petite affiche, écrite à la main, et collée chez le charbonnier.

La première fois que la pauvre dame se présenta chez nous, elle nous trouva aux prises avec l’énorme partition de la Vie pour le Czar, de Glinka, qu’un ami de Russie avait envoyée à mon père, et dont plusieurs morceaux étaient arrangés à quatre mains. Toute tremblante et complètement effarée, la nouvelle venue, qui croyait peut-être qu’on allait lui confier des enfants ne jouant encore que le Petit Suisse ou Mon Rocher de Saint-Malo, ne sut pas lire une seule note et sembla voir un piano pour la première fois.

Loin de nous mal disposer, cette émotion et tout ce que l’attitude de cette femme révélaient de tristesses et de déceptions, nous toucha profondément, et nous déclarâmes qu’elle nous convenait. Elle s’engagea, pour une somme minime, à venir presque tous les jours et à nous consacrer deux heures.

Malgré les apparences, elle savait assez bien la musique ; seulement, ses mains gourdes, gercées et rougies par les travaux du ménage, étaient incapables de l’exécuter.

Nous jouions presque exclusivement des symphonies à quatre mains, celles de Beethoven sur-