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le second rang du collier

un peu folle peut-être, mais d’une folie russe et délicieuse.

La princesse priait Théophile Gautier de vouloir bien venir dîner le lendemain, chez elle, dans l’intimité. Assez curieux de voir cette étrange et séduisante personne, mon père accepta l’invitation.

Nous étions couchées depuis longtemps quand il revint de chez la princesse ***. Mais nous ne dormions jamais que d’un sommeil léger et inquiet, tant que le père n’était pas rentré. Pour moi, quand il mettait la clef dans la serrure, ce faible choc m’éveillait aussitôt et j’écoutais tous les bruits familiers et rassurants qui se succédaient alors : — la porte refermée, le verrou poussé, la clef jetée sur le guéridon, dans l’angle du vestibule où la lumière attendait ; puis la montée tranquille de l’escalier et les pas sonnant sur le parquet de la chambre. — Ce n’était pas tout encore : Théophile Gautier ne manquait jamais devenir dire bonsoir à ma mère et, assis près du lit, de lui raconter, en détail, tout ce qu’il avait fait et vu. Notre chambre communiquait avec celle de ma mère et la porte restait ouverte. J’entendais donc toujours, sans en rien perdre, les narrations. Mais, ce soir-là, il fut très bref : la princesse *** était extrêmement aimable et assez originale ; il avait trouvé l’installation somptueuse et le diner excellent ; un sterlet du Volga y figurait, ce succulent poisson dont il n’avait pas goûté depuis son voyage en Russie et