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le second rang du collier

plus hardie. Sans doute la science possède la faune et la flore de ces abîmes comblés d’un fluide que nos poumons ne sauraient respirer, mais à l’état inerte, mort, empaillé : les poissons dans l’alcool, les coquilles sur des rayons, les végétaux entre les feuilles d’un herbier…

Dans le demi-jour vitreux et le silence éternel de l’abîme, car les tempêtes les plus violentes ne sont qu’un léger frisson sur l’épiderme de l’Océan, toute une prodigieuse création, qui va du coquillage microscopique, dont il faut trois millions pour remplir un pouce cube, jusqu’à la colossale monstruosité de la baleine, nage, rampe, sautille, s’accroche, s’incruste, s’enchevêtre, s’irradie, sécrète et prépare dans l’ombre les continents futurs, les Amériques de l’avenir, sous les plis de cet immense manteau glauque qui recouvre plus des deux tiers de notre globe. — Ce monde profond, dont l’atmosphère est un liquide d’une âcre amertume, et qui n’aperçoit notre soleil que comme une irradiation diffuse, semble à tout jamais fermé à l’homme…

L’aquarium en trahit les mystères : grâce à lui on pourra étudier la vie intime de ces peuples humides ; on connaîtra leurs mœurs, leurs habitudes, leurs sympathies et leurs antipathies, car ils habiteront, comme le sage le désirait, une maison aux murailles de verre incapable de garder un secret.

Après avoir franchi un vestibule fort simple, on se trouve, comme au Diorama, dans un large couloir à dessein baigné d’ombre. Le regard se tourne de lui-même vers une suite de tableaux éclairés par un jour de grotte d’azur et d’un effet magique. Rien de pareil ne s’est jamais offert à l’œil humain : c’est le monde tel que le voient les néréides, les sirènes, les ondines, les nixes et les poissons. — Dans la paroi du mur sont pratiquées quatorze cavités ou chambres, en forme de parallélogramme, séparées par des intervalles égaux. Le côté qui fait face au spectateur est fermé par une glace de Saint-Gobain d’une transparence extrême.

Les trois autres faces sont revêtues de plaques en ardoises d’Angers. Une eau douce ou salée, qu’épurent de puissants filtres, remplit ces bacs. Quatre bacs sont consacrés à la vie fluviale, et dix à la vie marine…

Un lit de sable couvre le fond de chaque vivier ; des pierres, des fragments de roche que tapissent en partie des plantes aquatiques composent, réfléchis par la surface plane de l’eau comme une glace, des paysages et des cavernes de l’étrangeté la plus chimériquement pittoresque. L’eau en