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le second rang du collier

paralyser le jeu d’un acteur, tandis que les sympathies sont pour lui comme un tremplin. L’idée qu’un mauvais présage nous a frôlé, diminue l’énergie de la volonté, arrête son élan, de sorte qu’on sera plus aisément vaincu dans la lutte de la vie ; mais la force augmente et l’on marche à la victoire si l’imagination est tranquillisée par l’illusion d’une influence favorable. La vertu d’un talisman n’est pas tout à fait vaine : elle réside dans la foi qu’elle inspire.

Pourtant mon père redoutait sérieusement le « mauvais œil », qu’il considérait comme une sorte de magnétisme malfaisant que projetaient hors d’eux-mêmes, sans le vouloir, ceux qui avaient ce don funeste.

Il existait, heureusement, des moyens de se garer, de rompre le mauvais regard : Théophile Gautier portait toujours parmi ses breloques une branche aiguë de corail, et il faisait tout de suite les cornes avec ses doigts si l’on prononçait devant lui certains noms. Le nom d’Offenbach, surtout, lui était insupportable, car il tenait le joyeux musicien pour le plus dangereux des jettatori. Une série de coïncidences malheureuses groupait autour de lui des apparences de preuves assez inquiétantes : ainsi, plusieurs des femmes qu’il fréquentait avaient péri par le feu. Emma Livry, brûlée vive sur la scène de l’Opéra en dansant un ballet d’Offenbach, le Papillon, était la plus récente victime,