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Page:Gautier - Le Second Rang du Collier.djvu/328

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le second rang du collier

Salève et les dentelures des Alpes formaient le fond du paysage ; plus loin, le parc s’achevait en un promontoire, qui dominait un tableau magnifique : la jonction du Rhône et de l’Arve. On voyait les deux fleuves accourir, par des routes opposées ; l’un, saphir liquide que l’écume sertissait d’argent ; l’autre jaune, lourd, opaque. Puis, avec un bruit de canonnade, ils se heurtaient, dans un bouillonnement, et bientôt, se déroulaient sans se confondre, comme un ruban bleu et un ruban d’or, et enfin disparaissaient, entre de hauts rochers, drapés de verdures croulantes.

Dans la vie réglée, paisible, abritée des importuns, que l’on menait à Saint-Jean, le temps semblait plus long qu’ailleurs : la rêverie naissait tout naturellement et rien ne l’interrompait ; la pensée se développait sans effort, et le travail paraissait plus facile. On pouvait se promener sans sortir du domaine, — « kilométrer », comme on disait à Genève ; et mon père adopta ce mot, qui remplaça nos « mille pas » de Neuilly.

La villa Grisi avait aussi sa terrasse : au-dessus d’une pente verte qui dégringolait vers un frais vallon, elle était plantée de magnifiques marronniers dont la floraison, chaque année, offrait un spectacle incomparable. Théophile Gautier aimait beaucoup ce coin du parc ; il admirait les arbres géants sous tous leurs aspects, vêtus de pourpre et d’or par l’automne, emmitouflés de neige par l’hiver : il y