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le second rang du collier

C’est le père, qui, toujours levé bien avant les autres, charme sa solitude, et essaie aussi, sans en avoir l’air, de tirer les paresseux de leur sommeil.

Il s’ennuie tout seul, et surtout il a faim. Pourtant il professe le plus profond mépris pour ce que l’on appelle « le petit déjeuner » : il veut le grand, tout de suite. Après douze ou quatorze heures de jeûne, son appétit réclame autre chose que ces fallacieuses tisanes que l’on vous apporte au lit, comme à des malades, avec quelques minces feuilles de mie de pain beurrées. Il lui faut des nourritures autrement substantielles : le large bifteck, épais de trois doigts, et le copieux macaroni. Mais il lui est impossible d’obtenir ces choses avant dix heures : personne n’est prêt, la cuisinière ne peut pas arriver, elle prétend que les fournisseurs n’ouvrent pas leurs boutiques assez tôt.

Alors il chante, pour tromper sa faim.

Son répertoire est des plus variés et des plus étranges, et on ne sait pas d’où il lui vient ; sauf pour quelques fragments des romances de Monpou, populaires pendant la jeunesse des romantiques, et quelques couplets de vaudeville, remarquables par leur bêtise, on ne retrouve pas les origines. D’ailleurs, cela n’est jamais complet : il n’a retenu que la phrase la plus baroque, le couplet le plus niais. Il a la voix juste, — n’en déplaise à la légende, — sans beaucoup de timbre, mais il sait l’enfler et