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le second rang du collier

autour d’elle, qui la cajolent. Elles ont déjà dîné et viennent dire bonsoir avant d’aller se coucher. Tout le monde leur fait fête, pour flatter la mère passionnée qu’est Giulia ; mais elle est jalouse aussi et ne permet pas qu’on embrasse ses filles.

— C’est horrible ! s’écrie-t-elle ; je ne comprends pas qu’on laisse embrasser ses enfants, surtout par des hommes : cette chair si délicate, si tendre, si fraîche !… ce sont des fleurs, et cela les fane… Je ne veux pas !…

Comme je trouve que c’est bien dit et qu’elle a raison ! Si on savait avec quelle répugnance les enfants endurent ces baisers d’indifférents, ces mentons qui grattent, ces haleines fortes, cette odeur de tabac, ces moustaches qui chatouillent, on les laisserait tranquilles ; toutes les mamans devraient être comme Giulia.

On se récrie, cependant, autour d’elle ; mais elle garde sa belle placidité et ne cède rien de sa conviction.

Moi, je ne me lasse pas de l’admirer : cette douceur, ce calme, ces poses si simplement nobles, cette voix pénétrante, ces longs silences méditatifs où les yeux glauques s’assombrissent, tout m’intéresse en elle. Les femmes racontent qu’elle est perfide, jalouse, violente ; mais je ne peux le croire : cela dérangerait ses belles lignes harmonieuses ; d’ailleurs, une mère aussi tendre ne peut pas être mauvaise.