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Page:Gautier - Le Troisième Rang du collier, 4e éd.djvu/71

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LE TROISIÈME RANG DU COLLIER

cernant et ce n’est pas sans la plus vive émotion que j’ai lu tous les éloges qu’il renferme sur vous, cher monsieur, car je vois que vous aussi avez passé par de mauvais jours. Me trouvant aujourd’hui dans le même cas, je sympathise d’autant plus avec vous, cher monsieur.

J’ai été élevée dans la plus grande aisance, entourée de tous les soins et les égards de tous ; malheureusement pour moi, des revers de fortune et des malheurs de famille sont survenus et tous se sont éloignés de nous ; ceux qui se disaient nos amis alors ne nous connaissent plus aujourd’hui.

Dieu merci, j’ai reçu la meilleure éducation possible, je suis passionnée pour la musique. Mais, hélas ! depuis nos malheurs, je n’ai pas touché un piano, les moyens me manquant pour m’en procurer un, ce qui est un vide immense pour moi et un grand chagrin. Que ne suis-je près de vous, cher monsieur ! Je sais d’avance que vous ne me refuseriez pas l’entrée de votre maison et une place à votre piano.

Par moi-même, j’ai cinq enfants et je n’ai pas le nécessaire à la maison. Mais si je pouvais être près de vous, cher monsieur, il me semble que je serais heureuse. Toutes privations ne seraient rien pour moi, si je pouvais cultiver l’art qui m’est si cher.

Je vois, cher monsieur, votre étonnement à la lecture de ma lettre ; mais s’il m’était donné de vous voir, vous ne seriez plus surpris… Je sais d’avance que votre maison sera la mienne et votre piano sera le mien…

. . . . . . . . . . . . . . . .


« Votre piano sera le mien  »…

Cette belle pensée demeura longtemps fameuse à Tribschen.