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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/110

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LE CAPITAINE FRACASSE.

peu l’habitude des femmes, et cette expérience ne manquait pas au marquis. La présence de Sigognac dans cette troupe de bohèmes ne le surprit plus, et le mépris que lui inspirait l’équipement délabré du pauvre Baron diminua de beaucoup. Cette entreprise de suivre sa belle sur le chariot de Thespis à travers le hasard des aventures comiques ou tragiques lui parut d’une imaginative galante et d’un esprit délibéré. Il fit un signe d’intelligence à Sigognac pour lui marquer qu’il l’avait reconnu et comprenait son dessein ; mais en véritable homme de cour il respecta son incognito, et ne parut plus s’occuper que de la Soubrette, à qui il débitait des galanteries superlatives, moitié vraies, moitié moqueuses, qu’elle acceptait de même avec des éclats de rire propres à montrer jusqu’au gosier sa denture magnifique.

Le marquis, désireux de pousser une aventure qui se présentait si bien, jugea à propos de se dire tout à coup fort épris du théâtre et bon juge en matière de comédie. — Il se plaignit de manquer en province de ce plaisir propre à exercer l’intellect, affiner le langage, augmenter la politesse et perfectionner les mœurs, et, s’adressant au Tyran qui paraissait le chef de la troupe, il lui demanda s’il n’avait pas d’engagements qui l’empêchassent de donner quelques représentations des meilleures pièces de son répertoire au château de Bruyères, où il serait facile de dresser un théâtre dans la grand’salle ou dans l’orangerie.

Le Tyran, souriant d’un air bonasse dans sa large barbe de crin, répondit que rien n’était plus facile,