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LE CAPITAINE FRACASSE.

logis ne renfermant pas plus de deux étages. — Il était en pierre jusqu’au premier, en briques et en bois à partir de là. Sur les murs, des grisailles dévorées par l’humidité semblaient avoir voulu simuler le relief d’une architecture richement ornée, avec les ressources du clair-obscur et de la perspective. On y devinait encore une suite d’Hercules terminés en gaine supportant une corniche à modillons d’où partait, en s’arrondissant, un berceau de feuillages festonnés de pampres laissant apercevoir un ciel passé de couleur et géographié d’îles inconnues par l’infiltration des eaux de la pluie. Entre les Hercules, dans des niches peintes, se pavanaient des bustes d’empereurs romains et autres personnages illustres de l’histoire ; mais tout cela si vague, si fané, si détruit, si disparu que c’était plutôt le spectre d’une peinture qu’une peinture réelle, et qu’il en faudrait parler avec des ombres de mots, les vocables ordinaires étant trop substantiels pour cela. Les échos de cette cage vide semblaient tout étonnés de répéter le bruit d’un pas.

Une porte verte, dont la serge avait jauni et n’était plus retenue que par quelques clous dédorés, donnait passage dans une pièce qui avait pu servir de salle à manger aux temps fabuleux où l’on mangeait dans ce logis désert. Une grosse poutre divisait le plafond en deux compartiments rayés de soliveaux apparents dont l’interstice avait été revêtu autrefois d’une couche de couleur bleue effacée par la poussière et les toiles d’araignée que la tête de loup n’allait jamais troubler à cette hauteur. Au-dessus de la cheminée de forme an-