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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/181

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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

Au bout de ce long estoc, qui eût pu servir de brochette à dix Sarrasins, pendait une rosace ouvrée délicatement en fils d’archal fort ténus, représentant une toile d’araignée, preuve convaincante du peu d’usage que faisait Matamore de ce terrible engin de guerre. Ceux d’entre les spectateurs qui avaient les yeux bons eussent même pu distinguer la petite bestiole de métal, suspendue au bout de son fil avec une quiétude parfaite et comme sûre de n’être pas dérangée dans son travail.

Matamore, suivi de son valet Scapin, que menaçait d’éborgner le bout de la rapière, arpenta deux ou trois fois le théâtre, faisant sonner ses talons, enfonçant son chapeau jusqu’au sourcil, et se livrant à cent pantomimes ridicules qui faisaient pâmer de rire les spectateurs ; enfin, il s’arrêta, et se posant devant la rampe, il commença un discours plein de hâbleries, d’exagérations et de rodomontades, dont voici à peu près la teneur, et qui aurait pu prouver aux érudits que l’auteur de la pièce avait lu le Miles gloriosus de Plaute, aïeul de la lignée des Matamores.

« Pour aujourd’hui, Scapin, je veux bien quelques instants laisser au fourreau ma tueuse, et donner aux médecins le soin de peupler les cimetières dont je suis le grand pourvoyeur. Quand on a comme moi détrôné le Sofi de Perse, arraché par sa barbe l’Armorabaquin du milieu de son camp et tué de l’autre main dix mille Turcs infidèles, fait tomber d’un coup de pied les remparts de cent forteresses, défié le sort, écorché le hasard, brûlé le malheur, plumé comme un oison