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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

mes illustres amantes, dont la trempe magique me préserve en mes plus folles témérités.

— Cela signifie, dit le valet qui avait écouté cette fulgurante tirade avec les apparences d’une contention d’esprit extrême, autant que mon faible entendement peut comprendre une éloquence si admirable en rhétorique, si enjolivée de termes à propos et métaphores à l’asiatique que votre Vaillantissime Seigneurie a la fantaisie férue pour quelque jeune tendron de la ville ; aliàs, que vous êtes amoureux comme un simple mortel.

— Vraiment, répliqua Matamore avec une bonhomie nonchalante et superbe, tu as donné du nez droit dans la chose, et tu ne manques pas d’intelligence pour un valet. Oui, j’ai cette infirmité d’être amoureux ; mais ne crains pas qu’elle amollisse mon courage. Cela est bon pour Samson, de se laisser tondre, et pour Alcide, de filer la quenouille. Dalila n’eût osé me toucher le poil. Omphale m’eût tiré les bottes. Au moindre signe de révolte je lui aurais fait décrotter sur la table la peau du lion Néméen comme une cape à l’espagnole. Dans mon loisir, cette réflexion, humiliante pour un grand cœur, m’est venue. J’ai vaincu, il est vrai, le genre humain, mais je n’en ai réduit que la moitié. Les femmes, par leur faiblesse, échappent à mon empire. Il ne serait pas décent de leur couper la tête, de leur tailler bras et jambes, de les fendre en deux jusqu’à la ceinture, comme j’ai l’habitude de le faire avec mes ennemis masculins. Ce sont là brutalités martiales, que repousse la politesse.