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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/189

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CHEZ MONSIEUR LE MARQUIS.

tit jusqu’au fond de la salle. Le pauvre diable pivota sur lui-même, près de tomber ; un second soufflet non moins vigoureusement appliqué que le premier, mais sur l’autre joue, le remit d’aplomb.

Pendant cette scène, Isabelle et Zerbine avaient reparu au balcon. La malicieuse soubrette se tenait les côtes de rire, et sa maîtresse faisait un signe de tête amical à Léandre. Du fond de la place débouchait Pandolphe, accompagné du tabellion et qui, les dix doigts écarquillés et les yeux ronds de surprise, regardait Léandre battre le Matamore.

« Écailles de crocodile et cornes de rhinocéros ! vociféra le fanfaron, ta fosse est ouverte, malandrin, veillaque, gavache, et je vais t’y pousser. Mieux eût valu pour toi tirer la moustache aux tigres et la queue aux serpents dans les forêts de l’Inde. Agacer Matamore ! Pluton, avec sa fourche, ne s’y risquerait pas. Je le déposséderais de l’enfer et j’usurperais Proserpine. Allons, ma tueuse, au vent, montrez-vous, brillez au soleil, et que votre éclair prenne pour fourreau le ventre de ce téméraire. J’ai soif de son sang, de sa moelle, de sa fressure, et je lui arracherai l’âme d’entre les dents. »

En disant cela, Matamore, avec des tensions de nerfs, des roulements de prunelles, des clappements de langue, semblait faire les plus prodigieux efforts pour extraire la lame rebelle de sa gaine. Il en suait d’ahan, mais la prudente tueuse voulait garder le logis ce jour-là, sans doute pour ne pas ternir son acier poli à l’air humide.