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LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE.

aïeule, mais qui ne laissait plus discerner que quelques fils d’argent parmi les soies et les laines déteintes, complétaient l’ameublement de cette chambre, à la rigueur habitable pour un homme qui n’eût craint ni les esprits ni les revenants.

Ces deux pièces répondaient aux deux fenêtres non condamnées de la façade. Un jour blême et verdâtre y descendait à travers les vitres dépolies dont le dernier nettoyage remontait bien à cent ans et qui semblaient étamées en dehors. De grands rideaux, fripés dans leurs cassures et qui se seraient déchirés si on eût voulu les faire glisser sur leurs tringles dévorées de rouille, diminuaient encore cette lumière de crépuscule et ajoutaient à la mélancolie du lieu.

En ouvrant la porte qui se trouvait au fond de cette dernière chambre, on tombait en pleines ténèbres, on abordait le vide, l’obscur et l’inconnu. Peu à peu, cependant, l’œil s’habituait à cette ombre traversée de quelques jets livides filtrant à travers les jointures des planches qui bouchaient les fenêtres, et découvrait confusément une enfilade de chambres délabrées, au parquet disjoint, semé de vitres brisées, aux murailles nues ou à demi couvertes de quelques lambeaux de tapisserie effrangée, aux plafonds laissant paraître les lattes et passer l’eau du ciel, admirablement disposés pour les sanhédrins de rats et les états généraux de chauves-souris. En quelques endroits, il n’eût pas été sûr de s’avancer, car le plancher ondulait et pliait sous le pas, mais jamais personne ne s’aventurait dans cette Thébaïde d’ombre, de poussière et de toiles d’arai-