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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/210

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LE CAPITAINE FRACASSE.

Léandre, inquiet du tour que prenait l’entretien, par ces subtilités et déductions mythologiques.

— Rien, sinon que tu as là sur le col, un peu au-dessus de la clavicule, bien que tu t’efforces de la cacher avec ton mouchoir, une raie noire qui demain sera bleue, après-demain verte, et ensuite jaune, jusqu’à ce qu’elle s’évanouisse en couleur naturelle, raie qui ressemble diantrement au paraphe authentique d’un coup de bâton signé sur une peau de veau ou vélin, si tu aimes mieux ce vocable.

— Sans doute, répondit Léandre, de pâle devenu rouge jusqu’à l’ourlet de l’oreille, ce sera quelque beauté morte, amoureuse de moi pendant sa vie, qui m’aura baisé en songe tandis que je dormais. Les baisers des morts impriment en la chair, comme chacun sait, des meurtrissures dont on s’étonne au réveil.

— Cette beauté défunte et fantasmatique vient bien à point, répondit Scapin, mais j’aurais juré que ce vigoureux baiser avait été appliqué par des lèvres de bois vert.

— Mauvais raillard et faiseur de gausseries que vous êtes, dit Léandre, vous poussez ma modestie à bout. Pudiquement je mets sur le compte des mortes ce qui pourrait être à meilleur droit revendiqué par les vivantes. Tout indocte et rustique que vous affectiez d’être, vous avez sans doute entendu parler de ces jolis signes, taches, meurtrissures, marques de dents, mémoire des folâtres ébats que les amants ont coutume d’avoir ensemble ?