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LE CAPITAINE FRACASSE.

qu’à des Mascarilles ou Scapins. Les valets seuls me courtisaient, tandis que les maîtres faisaient l’amour aux Lucindes, aux Léonores et aux Isabelles ; c’est à peine si les seigneurs daignaient, en passant, me prendre le menton et appuyer d’un baiser sur la joue le demi-louis d’argent qu’ils glissaient dans la pochette de mon tablier. Il s’est trouvé un mortel de meilleur goût, pensant que, hors du théâtre, la soubrette valait bien la maîtresse, et comme l’emploi de Zerbine n’exige pas une vertu très farouche, j’ai jugé qu’il ne fallait pas désespérer ce galant homme que mon départ contrariait fort. Or donc, laissez-moi prendre mes malles au fond de la voiture, et recevez mes adieux. Je vous retrouverai un jour ou l’autre à Paris, car je suis comédienne dans l’âme, et je n’ai jamais fait de bien longues infidélités au théâtre. »

Les hommes prirent les coffres de Zerbine, et les ajustèrent, se faisant équilibre, sur la mule de bât ; la Soubrette, aidée par l’écuyer qui lui tint le pied, sauta sur la colonelle aussi légèrement que si elle eût étudié la voltige en une académie équestre, puis frappant du talon le flanc de sa monture, elle s’éloigna faisant un petit geste de main à ses camarades.

« Bonne chance, Zerbine, crièrent les comédiens, à l’exception de Sérafine qui lui gardait rancune.

— Ce départ est fâcheux, dit le Tyran, et j’aurais bien voulu retenir cette excellente soubrette ; mais elle n’avait d’autre engagement que sa fantaisie. Il faudra ajuster dans les pièces les rôles de suivante en duègne ou chaperon, chose moins plaisante à l’œil qu’un mi-