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EFFET DE NEIGE.

On résolut de partir. Cette heure de repos et une musette d’avoine donnée par Scapin avaient rendu un peu de vigueur au pauvre vieux cheval fourbu. Il paraissait ragaillardi et capable de fournir la traite. Matamore fut couché au fond du chariot, sous une toile. Les comédiennes, non sans un certain frisson de peur, s’assirent sur le devant de la voiture, car la mort fait un spectre de l’ami avec lequel on causait tout à l’heure, et celui qui vous égayait vous épouvante comme une larve ou une lémure.

Les hommes cheminèrent à pied, Scapin éclairant la route avec la lanterne dont on avait renouvelé la chandelle, le Tyran tenant le bridon du cheval pour l’empêcher de buter. On n’allait pas bien vite, car le chemin était difficile ; cependant au bout de deux heures on commença à distinguer, au bas d’une descente assez rapide, les premières maisons du village. La neige avait mis des chemises blanches aux toits, qui les faisaient se détacher, malgré la nuit, sur le fond sombre du ciel. Entendant sonner de loin les ferrailles du chariot, les chiens inquiets firent vacarme, et leurs abois en éveillèrent d’autres dans les fermes isolées, au fond de la campagne. C’était un concert de hurlements, les uns sourds, les autres criards, avec solos, répliques et chœurs où toute la chiennerie de la contrée faisait sa partie. Aussi, quand la charrette y arriva, le bourg était-il en éveil. Plus d’une tête embéguinée de ses coiffes de nuit se montrait encadrée par une lucarne ou le vantail supérieur d’une porte entr’ouverte, ce qui facilita au Pédant les