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LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE.

roué qui est le plus haut signe de satisfaction chez la race féline.

« Bien, bien, Béelzébuth, dit le vieillard en se courbant pour passer à deux ou trois reprises sa main calleuse sur le dos pelé du chat, afin de n’être pas en reste de politesse avec un animal ; je sais que tu m’aimes, et nous sommes assez seuls ici, mon pauvre maître et moi, pour n’être pas insensibles aux caresses d’une bête dénuée d’âme, mais qui pourtant semble vous comprendre. »

Ces mutuelles politesses achevées, le chat se mit à marcher devant l’homme en le guidant du côté de la cheminée, comme pour lui remettre la direction de la marmite qu’il regardait d’un air de convoitise famélique le plus attendrissant du monde, car Béelzébuth commençait à vieillir, il avait l’oreille moins fine, l’œil moins perçant, la patte moins leste qu’autrefois, et les ressources que lui offrait jadis la chasse aux oiseaux et aux souris diminuaient sensiblement ; aussi ne quittait-il pas de la prunelle ce ragoût dont il espérait avoir sa part et qui lui faisait se pourlécher les babines par anticipation.

Pierre, c’était le nom du vieux serviteur, prit une poignée de bourrées, la jeta sur le feu à demi mort ; les brindilles craquèrent et se tordirent, et bientôt la flamme, poussant un flot de fumée, se dégagea vive et claire au milieu d’une joyeuse mousqueterie d’étincelles. On eût dit que les salamandres prenaient leurs ébats et dansaient des sarabandes dans les flammes. Un pauvre grillon pulmonique, tout réjoui de cette cha-