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OÙ LE ROMAN JUSTIFIE SON TITRE.

sa volonté et sa constitution de fer, sentait le sommeil lui venir. Plusieurs fois déjà ses paupières s’étaient abaissées, et il les avait relevées avec une résolution brusque ; les objets commençaient à se brouiller entre ses cils, et il perdait la notion des choses, lorsqu’à travers une ébauche incohérente de rêve il lui sembla qu’un souffle humide et tiède lui donnait au visage. Il se réveilla ; et ses yeux en s’ouvrant rencontrèrent deux prunelles phosphorescentes.

« Les loups ne se mangent pas entre eux, mon petit, murmura le bandit, tu n’as pas la mâchoire assez bien endentée pour me mordre. »

Et d’un mouvement plus prompt que la pensée, il étreignit la gorge de l’animal avec sa main gauche, et de la droite ramassant sa navaja, il la lui plongea dans le cœur jusqu’au manche.

Cependant Agostin, malgré sa victoire, ne jugea pas la place bonne, et il éveilla Chiquita, qui ne témoigna nulle frayeur à la vue du loup mort, étendu sur la route.

« Il vaut mieux, dit le brigand, gagner au pied. Cette charogne attire les loups, lesquels sont principalement enragés de faim en temps de neige où ils ne trouvent rien à manger. J’en tuerai bien quelques-uns, comme j’ai fait de celui-ci ; mais ils peuvent venir par douzaines et, si je m’endormais, il me serait désagréable de me réveiller dans l’estomac d’une bête carnassière. Moi croqué, ils ne feraient qu’une bouchée de toi, mauviette, qui as les os tendres. Sus donc, détalons au plus vite. Cette carcasse les occupera. Tu peux marcher à présent, n’est-ce pas ?