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LE CAPITAINE FRACASSE.

toujours faire ses singeries sur la même place. Les spectateurs finissent par connaître tous vos tours et les exécuteraient eux-mêmes. Un peu d’absence est nécessaire. L’oublié vaut le neuf. Y a-t-il en ce moment beaucoup de noblesse à Poitiers ?

— Beaucoup, seigneur Hérode, les chasses sont finies et l’on ne sait que faire. On ne peut pas toujours manger et boire. Vous aurez du monde.

— Alors, dit le Tyran, faites apporter les clefs de sept ou huit chambres, ôter de la broche trois ou quatre chapons, retirer de derrière les fagots une douzaine de bouteilles de ce petit vin que vous savez, et répandez par la ville ce bruit : que l’illustre troupe du seigneur Hérode est débarquée aux Armes de France avec un nouveau répertoire, se proposant de donner plusieurs représentations. »

Pendant que le Tyran et l’aubergiste dialoguaient de la sorte, les comédiens étaient descendus de voiture. Des valets s’emparèrent de leurs bagages et les portèrent aux chambres désignées. Celle d’Isabelle se trouva un peu écartée des autres, les plus proches se trouvant occupées. Cet éloignement ne déplut point à cette pudique jeune personne qu’embarrassait parfois cette promiscuité bohémienne à quoi force la vie errante des comédiens.

Bientôt toute la ville, grâce à la faconde de maître Bilot, sut que des comédiens étaient arrivés, qui devaient jouer les pièces des plus beaux esprits du temps aussi bien qu’à Paris, sinon mieux. Les muguets et les raffinés s’informèrent de la beauté des actrices,