pour cela que je sois amoureuse de vos vieux museaux usés par la céruse et le rouge. Je n’aime personne, Dieu merci ! Ma joie tient à ce que je rentre dans mon élément, et l’on est toujours mal hors de son élément. L’eau ne convient pas aux oiseaux non plus que l’air aux poissons. Les uns s’y noient et les autres y étouffent. Je suis comédienne de nature et le théâtre est mon atmosphère. Là, seulement, je respire à mon aise ; l’odeur des chandelles fumeuses me vaut mieux que civette, benjoin, ambre gris, musc et peau d’Espagne. Le relent des coulisses flaire à mon nez comme baume. Le soleil m’ennuie et la vie réelle me semble plate. Il me faut des amours imaginaires à servir et pour déployer mon activité le monde d’aventures romanesques qui s’agite dans les comédies. Depuis que les poëtes ne me prêtent plus leurs voix, je me fais l’effet d’être muette. Donc, je viens reprendre mon emploi. J’espère que vous n’avez engagé personne pour me remplacer. On ne me remplace pas d’ailleurs. Si cela était, j’aurais bientôt mis les griffes au visage de la gaupe et je lui casserais les quatre dents de devant sur le rebord des tréteaux. Quand on empiète sur mes privilèges, je suis méchante comme un diable.
— Tu n’auras besoin, dit le Tyran, de te livrer à aucun carnage. Nous n’avons pas de soubrette. C’était Léonarde qui jouait tes rôles envieillis et tournés à la duègne, métamorphose assez triste et maussade, à quoi nous obligeait la nécessité. Si par quelqu’un de ces onguents magiques dont parle Apulée tu t’étais muée tout à l’heure en oiseau et fusses venue, te po-