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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/325

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LES CHOSES SE COMPLIQUENT.

de Méduse. Une pâleur affreuse couvrait son visage, ses noirs sourcils s’abaissaient sur ses yeux injectés de sang. La pourpre de ses lèvres prenait une couleur violette et blanchissait d’écume ; ses narines palpitaient comme aspirant le carnage. Il s’élança vers Sigognac, qui ne rompit pas d’une semelle, attendant l’assaut ; mais, tout à coup, il s’arrêta. Une réflexion soudaine éteignit, comme une douche d’eau glacée, sa bouillante frénésie. Ses traits se remirent en place ; les couleurs naturelles lui revinrent, il avait complètement repris possession de lui-même, et son visage exprimait le dédain le plus glacial, le mépris le plus suprême qu’une créature humaine puisse témoigner à une autre. Il venait de penser que son adversaire n’était pas né et qu’il avait failli se commettre avec un histrion. Tout son orgueil nobiliaire se révoltait à cette idée. L’insulte partie de si bas ne pouvait l’atteindre ; se bat-on avec la boue qui vous éclabousse ? Cependant il n’était pas dans sa nature de laisser une offense impunie d’où qu’elle vînt, et, se rapprochant de Sigognac, il lui dit : « Drôle, je te ferai rompre les os par mes laquais !

— Prenez garde, monseigneur, répondit Sigognac du ton le plus tranquille et de l’air le plus détaché du monde, prenez garde, j’ai les os durs et les bâtons s’y briseront comme verre. Je ne reçois de volée que dans les comédies.

— Quelque insolent que tu sois, maraud, je ne te ferai pas l’honneur de te battre moi-même. C’est une ambition qui passe tes mérites, dit Vallombreuse.