les émotions réelles de la vie ne pouvant distraire les comédiens de leurs passions fictives. Isabelle même joua très-bien, quoiqu’elle eût le cœur plein de souci. Quant à Fracasse, excité par la querelle, il se montra étincelant de verve. Zerbine se surpassa. Chacun de ses mots soulevait des rires et des battements de mains prolongés. Du coin de l’orchestre partait avant tous les autres un applaudissement qui ne cessait que le dernier et dont la persistance enthousiaste finit par attirer l’attention de Zerbine.
La Soubrette feignant un jeu de scène s’avança près des chandelles, allongea le col avec un mouvement d’oiseau curieux qui passe sa tête entre deux feuilles, plongea le regard dans la salle et découvrit le marquis de Bruyères tout rouge de satisfaction et dont les yeux pétillants de désir flambaient comme des escarboucles. Il avait retrouvé la Lisette, la Marton, la Sméraldine de son rêve ! Il était aux anges.
« Monsieur le marquis est arrivé, dit tout bas Zerbine à Blazius, qui jouait Pandolfe, dans l’intervalle d’une demande à une réplique avec cette voix à bouche close que les acteurs savent prendre lorsqu’ils causent entre eux sur le théâtre et ne veulent point être entendus par le public ; vois comme il jubile, comme il rayonne, comme il est passionné ! Il ne se tient pas d’aise, et n’était la vergogne, il sauterait par-dessus la rampe pour me venir embrasser devant tout le monde ! Ah ! monsieur de Bruyères, les soubrettes vous plaisent. Eh bien ! l’on vous en fricassera avec sel, piment et muscade. »