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Page:Gautier - Le capitaine Fracasse, tome 1.djvu/33

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LE CHÂTEAU DE LA MISÈRE.

qui faisait ressortir encore la mélancolique solitude du château. D’une famille jadis puissante et riche il ne restait qu’un rejeton isolé, errant comme une ombre dans ce manoir peuplé par ses aïeux ; d’une livrée nombreuse il n’existait plus qu’un seul domestique, serviteur par dévouement, qui ne pouvait être remplacé ; d’une meute de trente chiens courants il ne survivait qu’un chien unique, presque aveugle et tout gris de vieillesse, et un chat noir servait d’âme au logis désert.

Le Baron fit signe à Pierre qu’il voulait se retirer. Pierre, se baissant au foyer, alluma un éclat de bois de pin enduit de résine, sorte de chandelle économique qu’emploient les pauvres paysans, et se mit à précéder le jeune seigneur ; Miraut et Béelzébuth se joignirent au cortège : la lueur fumeuse de la torche faisait vaciller sur les murailles de l’escalier les fresques pâlies et donnait une apparence de vie aux portraits enfumés de la salle à manger dont les yeux noirs et fixes semblaient lancer un regard de pitié douloureuse sur leur descendant.

Arrivé à la chambre à coucher fantastique que nous avons décrite, le vieux serviteur alluma une petite lampe de cuivre à un bec dont la mèche se repliait dans l’huile comme un ténia dans l’esprit-de-vin à la montre d’un apothicaire, et se retira suivi de Miraut. Béelzébuth, qui jouissait de ses grandes entrées, s’installa sur un des fauteuils. Le Baron s’affaissa sur l’autre, accablé par la solitude, le désœuvrement et l’ennui.