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COUPS D’ÉPÉE, COUPS DE BÂTON, ETC.

le temps du spectacle sa pose indolente et superbe. Quoique violent de sa nature, le duc de Vallombreuse, sa fureur passée, était trop gentilhomme pour se rien permettre contre les lois de la courtoisie à l’endroit d’un adversaire avec lequel il devait se battre le lendemain : jusque-là les hostilités étaient suspendues, et c’était comme une trêve de Dieu.

La dame masquée s’était retirée un peu avant la fin de la seconde pièce, pour éviter de se trouver parmi la foule, et pouvoir regagner sans être vue la chaise à porteurs qui l’attendait à quelques pas du jeu de paume. Sa disparition intrigua beaucoup Léandre, qui de l’angle d’une coulisse surveillait la salle et suivait les mouvements de la femme mystérieuse.

Jetant à la hâte un manteau sur son costume de berger du Lignon, Léandre se précipita vers la porte des acteurs pour suivre l’inconnue. Le fil léger qui les liait l’un à l’autre allait se rompre s’il ne faisait diligence. La dame, sortie de l’ombre un instant, y rentrait pour toujours, et l’intrigue, à peine formée, avortait. Bien qu’il se fût hâté jusqu’à perdre le souffle, Léandre, lorsqu’il arriva dehors, n’aperçut autour de lui que les maisons noires et les ruelles profondes où tremblotaient quelques lanternes portées par des valets escortant leurs maîtres, et dont le reflet miroitait dans les flaques de pluie. La chaise, enlevée par de vigoureux porteurs, avait déjà tourné l’angle d’une rue qui la dérobait aux regards du passionné Léandre.

« Je suis stupide, se dit-il à lui-même avec cette franchise dont on use quelquefois envers soi même